Le droit à la déconnexion au Québec : le Projet de loi n°1097

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Auteure: Élisabeth Boutin-Bruce, étudiante au cours DRT-6929E-A 

Un récent article de BBC illustre les enjeux de la surveillance patronale omniprésente : cette idée envahissante de l’employeur qui tente de contrôler certains facteurs de la vie de son employé, parfois même en dehors du travail. En cette ère numérique, alors que l’employeur est en possession d’une multitude de données sur l’employé, le journaliste se questionne à savoir où tracer la ligne avec l’utilisation qui peut en être faite.

Effet Big Brother

Tel qu’exposé par l’article, au sein d’une entreprise, les ressources humaines analysent un nombre grandissant de données associées à l’employé. Les utilisations de ces informations sont multiples : prédiction de la durée de l’occupation de l’emploi par un employé, meilleure gestion de risques de la société, évaluation des comportements sociaux au travail pour contrer la discrimination, évaluation de la charge de travail, etc. Les sources de ces données sont également diverses : courriels, messagerie institutionnelle, caméra, carte d’accès et autres servent à évaluer la durée des communications des employés, leurs fréquences et leur location, les déplacements des employés au sein des locaux de l’entreprise, et bien plus. Comme une meilleure activité physique augmente la productivité, certaines entreprises proposent des initiatives axées sur l’activité physique qui, à partir d’applications ou d’appareils connectés, surveille la condition physique et incidemment la santé d’un employé.

Droit à la déconnexion

Avec le développement des technologies de l’information, la réalité professionnelle change. Il est également attendu d’un employé d’accomplir certaines tâches hors des heures normales du bureau, comme celles de consulter ses courriels ou de parcourir les réseaux sociaux. Alors que la limite entre la vie professionnelle et personnelle semble tendre à disparaître, cette réalité amène plusieurs experts à se questionner sur la pertinence d’un droit à la déconnexion au Québec.

Dans un article du Devoir, le professeur Pierre Trudel définit le droit à la déconnexion comme « un droit pour les salariés de disposer de périodes durant lesquelles ils auront le loisir de ne pas répondre aux communications associées à leur travail ». En se basant sur le rapport de l’Organisation internationale du travail Working anytime, anywhere: The effects on the world of work, il exprime les avantages et les inconvénients engendrés par la disponibilité des outils connectés et souligne les enjeux de ce droit à la déconnexion :

Le monde connecté se caractérise par la banalisation de l’instantanéité et de la mobilité. Il multiplie les brouillages entre le temps de travail et le temps de repos. Comme la dématérialisation accrue de l’activité économique ne peut qu’augmenter la pression que l’environnement de travail exerce sur le temps privé, il devient impérieux de réfléchir aux nouvelles façons d’assurer des conditions de travail adéquates aux travailleurs qui oeuvrent de plus en plus dans un monde connecté .

À cet effet, les réflexions semblent progresser au Québec.

Alors qu’en France le droit à la déconnexion est reconnu depuis le 1er janvier 2017 par l’article 55 de la loi Travail, au Québec, le député Gabriel Nadeau-Dubois déposait le Projet de loi n°1097 le 22 mars dernier, prévoyant un droit à la déconnexion. Selon les termes de la proposition, l’objectif du Projet de loi est « d’assurer le respect du temps de repos des salariés en introduisant une obligation pour un employeur d’adopter une politique de déconnexion en dehors des heures de travail ». Cette politique doit notamment établir « les périodes durant lesquelles un salarié a droit d’être coupé de toute communication relative à son emploi sur une base hebdomadaire » et un « le protocole d’utilisation des outils de communication en dehors des heures de travail ».

Selon les dispositions du Projet de loi, l’élaboration de la politique de déconnexion pour un employeur de 100 salariés ou plus est accomplie par un comité composé de six personnes au minimum, dont au moins la moitié représente les salariés. Les autres membres du comité sont désignés par l’employeur et le représentent. Dans le cas d’un employeur de moins de 100 salariés, la politique de déconnexion est élaborée par l’employeur, sur consultation des salariés, et doit être approuvée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Le projet de loi prévoit également des amendes en cas de défaut d’un employeur d’établir une politique de déconnexion.

Mais l’élaboration de politiques strictes en matière de déconnexion correspond-elle à la réalité moderne du marché du travail ? Certains se questionnent. Comme l’illustre le professeur Trudel :

Les outils connectés procurent une souplesse souvent très appréciée par les travailleurs eux-mêmes. C’est en encourageant la flexibilité plutôt qu’en imposant des règles d’interdiction qui tenteraient de calquer les horaires fixes d’autrefois qu’il faut repenser les conditions de travail.

Dans une entrevue radiophonique, le professeur Trudel avance que le droit à la déconnexion ne pourrait être qu’un aspect d’un phénomène beaucoup plus vaste qu’est la redéfinition de l’espace de travail dans la société moderne. Le télétravail et les appareils connectés présentent des avantages indéniables, procurant une grande souplesse et permettant de concilier le temps travail-famille. Dans le cadre de la réforme de la Loi sur les normes du travail, le dépôt du projet de loi présente peut-être l’occasion de provoquer une discussion plus large sur cet enjeu à titre de société.

 

This content has been updated on April 11, 2018 at 8 h 14 min.