Le port de caméras corporelles par les policiers au Canada : Comment protéger la vie privée des individus?

Roxane Fortin Lecompte, Étudiante au cours de DRT-6929E

Entre le 1er mai 2015 et le 31 mars 2016, 100 agents du service de police de Toronto ont mis à l’essai le port de caméras sur leur uniforme dans le cadre d’un projet pilote ayant coûté 500 000$. L’évaluation du projet se terminera le 30 juin et le service prendra par la suite une décision sur la valeur d’équiper tous les policiers de caméras corporelles. Calgary a pour sa part adopté rapidement le port de ce type de caméra, alors qu’à la fin mars 2016, près de 1100 policiers étaient équipés de caméras corporelles. Le service de police de Calgary mentionne utiliser ces outils afin de « collecter des éléments de preuve, améliorer la transparence et la confiance du public, améliorer la responsabilité et le professionnalisme des agents, protéger les agents contre des allégations non fondées et aider à désamorcer les situations de tension ».

Des chercheurs de l’Institut de Criminalité de l’Université de Cambridge ont pu conclure de leur expérimentation et de leur recherche sur les effets des caméras corporelles que « technology is perhaps most effective at actually preventing escalation during police-public interactions: whether abusive behaviour towards police or unnecessary use-of-force by police ». Selon le service de police de Calgary, les policiers vont aviser le public chaque fois que c’est possible et que même si un citoyen s’oppose, les officiers vont continuer à enregistrer s’ils ont le droit de le faire.

Les caméras corporelles enregistrent des « images numériques haute résolution » qui permettent de distinguer clairement les individus et les microphones dont elles sont équipées peuvent capter « les sons ambiants et les conversations des gens qui observent ce qui ce passe ». Les renseignements collectés par les caméras corporelles sont des renseignements personnels au sens de l’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques puisque ces renseignements concernent des « individus identifiables » ainsi qu’au sens de l’article 54 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels puisque ce sont des « renseignements qui concernent une personne physique et qui permettent de l’identifier ». La Cour Suprême a rappelé dans R. c. Spencer que « [l]e simple fait qu’une personne quitte l’intimité de sa résidence et pénètre dans un lieu public ne signifie pas qu’elle renonce à tous ses droits en matière de vie privée, même si, en pratique, il se peut qu’elle ne soit pas en mesure d’exercer un contrôle à l’égard des personnes qui l’observent en public. »

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada s’est penché sur la question de la protection des renseignements personnels et de la vie privée des individus lorsque les uniformes des policiers sont équipés de caméras corporelles. Dans son « Document d’orientation pour l’utilisation des caméras corporelles par les organismes chargés de voir au respect de la loi », le Commissariat a rappelé les critères de nécessité, d’efficacité et de proportionnalité que doit respecter l’utilisation des caméras corporelles. Le Commissariat demande d’ailleurs aux organismes de faire une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) avant de mettre en place un programme d’utilisation des caméras corporelles. De plus, le Commissariat demande « d’enregistrer le moins possible les passants innocents ou les interactions anodines avec le public » afin de protéger la vie privée des citoyens.

À Montréal, un projet-pilote devrait tester les appareils en laboratoires, puis un essai devrait être mené sur le terrain en équipant environ 50 agents de caméras corporelles et cette période sera suive d’une consultation publique qui devrait avoir lieu à l’autonome 2016. Avant de mettre en place ce projet-pilote, ils devront « faire un effort raisonnable pour indiquer au public que les agents d’exécution de la loi sont équipés de caméras corporelles permettant d’enregistrer les actions » selon le document d’orientation du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et ils devront également aviser les citoyens du droit d’accès aux renseignements personnels recueillis selon la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics article 9.

Laura Berger, directrice du programme de Sûreté Publique de l’Association canadienne des libertés civiles rappelle qu’il est essentiel d’être « […]cautious of the idea that video never lies and that video evidence will provide a panacea to concerns about police use of force and accountability » et qu’une des questions importante est de savoir quand les caméras doivent être en fonction ou éteinte et qui doit prendre ces décisions. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a également mis de l’emphase sur l’importance  « [d’]adopter des critères stricts pour mettre en marche ou éteindre la caméra, y compris pour déterminer si l’agent d’exécution de la loi devrait avoir la latitude voulue pour la mettre en marche ou l’éteindre lui-même, ou si cela devrait se faire à distance » lorsqu’on décide d’enregistrer de manière intermittente.

En effet, la valeur des enregistrements pourrait être diminuée si « […] negative interactions are not going to be recorded […] we’re not going to have that evidence that could be useful in cases of police violence or in cases where complaints are lodged ». Il m’apparaît au final que l’utilisation de caméras corporelles présente un caractère de proportionnalité entre la perte de vie privée et la diminution de la violence lorsque des politiques et procédures claires et précises énoncent le fonctionnement et les objectifs du programme d’utilisation des caméras corporelles.

 

This content has been updated on April 14, 2016 at 9 h 12 min.