Google propose une alternative au « droit à l’oubli global » dicté par les autorités européennes de régulation des données

Right to be forgotten

Auteur: Guillaume Macaux, Étudiant au cours de DRT6929E

Critiqué depuis près d’un an sur sa gestion du droit à l’oubli, Google – le moteur de recherche préféré des Européens – aurait trouvé une solution pour satisfaire les autorités européennes sans céder à une application extraterritoriale du droit européen.

Il y a presque deux ans déjà, le 13 mai 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne consacrait – dans le désormais célèbre arrêt Google Spain (C-131/12) – le droit à l’oubli pour les citoyens européens (qu’il convient de qualifier plus exactement de droit au déréférencement s’agissant des activités des moteurs de recherche) :

L’exploitant d’un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations [portant atteinte] à cette personne, également dans l’hypothèse où ce nom ou ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite.

Dans la foulée, en novembre 2014, le Groupe de l’article 29 a adopté des lignes directrices sur l’interprétation de l’arrêt Google Spain et une liste des critères communs pour le traitement des plaintes par les responsables de traitement.

Malgré son profond désaccord, Google s’est employé à respecter la décision de la CJUE en proposant rapidement un formulaire de demande de suppression de résultats de recherche dès mai 2014. À ce jour, les services de Google ont examiné plus de 1,3 million d’URL et 42,2% d’entre elles ont été déréférencées du moteur de recherche.

La société californienne a même eu recours à un procédé inédit en constituant un comité d’experts – composé de spécialistes en protection des données et en technologies, d’universitaires, de journalistes et de membres de la société civile – qui a rendu un rapport devant accompagner Google dans sa réponse aux nouvelles obligations dictées par la CJUE, se prêtant ainsi à un « exercice planétaire de responsabilité sociétale ».

Pour autant, les autorités européennes se montrent insatisfaites – certains diront insatiables –, et un nouveau bras de fer s’est engagé l’été dernier avec Google. En effet, en juin 2015, la CNIL a mis en demeure Google d’étendre les déréférencements à l’ensemble des extensions géographiques de son moteur de recherche :

La CNIL considère, conformément à l’arrêt de la CJUE, que le déréférencement, pour être effectif, doit concerner toutes les extensions et que le service proposé via le moteur de recherche « Google search » correspond à un traitement unique.

En juillet dernier, Google, par la voix de son responsable de la protection des données, Peter Fleischer, s’opposait fermement à la mise en oeuvre d’un « droit à l’oubli global » :

This is a troubling development that risks serious chilling effects on the web.

[…]

We believe that no one country should have the authority to control what content someone in a second country can access. We also believe this order is disproportionate and unnecessary, given that the overwhelming majority of French internet users—currently around 97%—access a European version of Google’s search engine like google.fr, rather than Google.com or any other version of Google.

As a matter of principle, therefore, we respectfully disagree with the CNIL’s assertion of global authority on this issue and we have asked the CNIL to withdraw its Formal Notice.

Dans ce nouveau débat sur la territorialité du droit à l’oubli, Google s’est montré particulièrement soucieux de préserver la liberté d’expression à travers le monde. Peter Fleischer fait remarquer qu’on ne saurait permettre aujourd’hui aux autorités européennes de réguler l’activité mondiale du web sans ouvrir la porte dans un futur proche à une acceptation de la censure d’Internet :

While the right to be forgotten may now be the law in Europe, it is not the law globally. Moreover, there are innumerable examples around the world where content that is declared illegal under the laws of one country, would be deemed legal in others: Thailand criminalizes some speech that is critical of its King, Turkey criminalizes some speech that is critical of Ataturk, and Russia outlaws some speech that is deemed to be “gay propaganda.”

 

Malgré cela, la CNIL a rejeté la demande de recours gracieux formée par Google, invoquant notamment la facilité actuelle de contourner le déréférencement en utilisant une autre extension et le fait que les déréférencements se font uniquement sur la « seule base du nom de la personne ». Elle précise par ailleurs qu’il ne s’agit pas de faire une application extraterritoriale du droit à l’oubli mais, d’un « plein respect du droit européen par des acteurs non européens offrant leurs services en Europe ».

Alors que la presse américaine se fait écho de probables nouvelles sanctions à l’encontre de Google dans les prochaines semaines, la firme de Mountain View s’apprêterait à revoir sa façon de gérer le droit à l’oubli, notamment en appliquant les déréférencements en fonction de la position géographique des internautes, en plus des déréférencements en fonction des extensions du nom de domaine.

Concrètement, Google devrait se baser sur l’adresse IP de l’auteur de la requête dans son moteur de recherche pour masquer ou non, sur l’ensemble de ses sites, les pages qui font l’objet d’un déréférencement en vertu du droit européen. Pour ce qui est des versions européennes du moteur de recherche, les pages déréférencées continueront d’être masquées nonobstant l’origine de l’adresse IP de l’internaute.

Cette solution technique, sans pour autant répondre à l’argumentaire de la CNIL selon lequel les moteurs de recherche de Google, présentés au public sous différents nom de domaines régionaux, ne sont en fait qu’un seul traitement unique, semble cependant être dans l’esprit des revendications des autorités européennes. En effet, la CNIL considérant que « les extensions géographiques ne sont qu’un chemin d’accès au traitement », Google propose ici de barrer tous les chemins d’accès possibles pour les internautes européens … si l’on fait abstraction de l’utilisation toujours plus facile et répandue des VPN !

This content has been updated on February 2, 2016 at 18 h 54 min.