La révolution des objets connectés menace notre droit à la vie privée

Internet of things, devices and connectivity concepts on a network, cloud at center

Auteure: Aya Barbach, étudiante au cours DRT-6929E-A

Pour vivre heureux, vivons cachés… vivons déconnectés?! À l’heure actuelle, l’on dénombre pas moins de six milliards d’objets connectés dans le monde, un chiffre qui devrait doubler d’ici 2020. Mais qu’entend-on exactement par « objet connecté »? Ce sont des objets du quotidien qui sont dotés d’une connexion internet et peuvent communiquer avec d’autres systèmes pour obtenir ou fournir de l’information. À titre d’exemple, et sans prétendre à l’exhaustivité, les Google Glass, le réfrigérateur connecté, la balance connectée ou encore les thermostats intelligents sont des technologies désormais courantes dans notre quotidien. Ces technologies innovantes révolutionnent tranquillement mais sûrement notre quotidien. Cependant, ces innovations ont a priori un prix au regard de notre vie privée. En effet, non seulement ces objets connectés peuvent collecter et stocker des informations en fonction de leur environnement, mais il est en plus à craindre que ces objets constituent des éléments de preuve dans le cadre de procédure judiciaire – ce qui semble déjà être le cas aux États-Unis.

En février dernier, un individu a été inculpé pour incendie criminel et fraude à l’assurance après avoir déclaré qu’il avait dû s’enfuir précipitamment par une des fenêtres de sa maison qui était alors en feu. L’individu avait déclaré qu’après avoir remarqué un départ d’incendie, il aurait empaqueté quelques effets personnels dans un sac qu’il aurait jeté par une fenêtre prétendument brisée grâce à sa canne puis aurait porté le tout dans sa voiture. L’individu chiffrait alors les dégâts à quatre cent mille dollars. En plus du fait que l’enquête avait révélé quelques faits troublants contredisant sa version, tels que plusieurs départs d’incendies constatés dans la maison et une odeur d’essence, l’individu était doté d’un pacemaker. Après obtention d’un mandat de perquisition, la police a récolté les données dudit pacemaker afin d’attester de la véracité de ses dires. Sauf qu’après analyse des données par un cardiologue et par la police, il a été conclu que le récit rapporté par le sexagénaire était peu probable. En effet, le cardiologue a déclaré qu’il était « hautement improbable que l’individu ait été en mesure de collecter, emballer et retirer le nombre d’éléments de la maison, quitter la fenêtre de sa chambre à coucher et transporter de nombreux objets volumineux et lourds à l’avant de sa résidence pendant cette courte période de temps en raison de son état de santé ». Le lieutenant responsable de l’enquête a d’ailleurs affirmé que ce sont les données du pacemaker de l’assuré qui avait servi d’un des principaux éléments de preuve permettant de l’inculper.

Ce fait divers aussi passionnant qu’inquiétant soulève de multiples questions sur les futurs enjeux reliés au secteur de la santé et la récolte des données personnelles. L’association américaine Electronic Frontier Foundation (EFF) luttant pour la protection de la vie privée à mesure que la technologie se développe, s’inquiète d’ailleurs des conséquences pouvant résulter de cette affaire. En outre, cette association craint qu’à mesure que les nouvelles technologies se développent, l’affaiblissement du droit à la vie privée relativement aux informations personnelles dans le secteur médical soit de plus en plus fréquent. D’ailleurs, Stéphanie Lacambra, avocate aux États-Unis en droit criminel et membre de l’association EFF a déclaré suite à ce fait divers que les Américains ne devaient pas avoir à choisir entre la santé et leur droit à la vie privée. Me Lacambra souligne que la confidentialité des informations personnelles dans le secteur médical est un droit précieux dans notre société et les citoyens ne devraient pas être contraints de devoir divulguer de force ces informations.

Au Canada, l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés protège des fouilles, perquisitions ou saisies abusives. Cet article protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans le cadre d’une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État. En d’autres termes, cette disposition vise à protéger les renseignements constituant le « cœur biographique » d’un individu, ce que la Cour suprême du Canada a défini dans l’arrêt R. c. Plant comme étant les renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu. En ce sens, bien qu’un mandat judiciaire ait été délivré dans l’affaire préalablement citée aux États-Unis, il serait intéressant de savoir si la délivrance d’un tel mandat au Canada aurait pu être contestée au motif que les renseignements générés par le pacemaker font partie du cœur biographique de l’individu et sont donc protégés à l’aune de son expectative de vie privée.

De manière plus générale, les collectes de renseignements personnels par les objets connectés sont une source de préoccupation au regard de notre expectative de vie privée. À cet égard, la Commission d’accès à l’information du Québec a listé plusieurs enjeux à ce sujet dans une récente communication. Ces enjeux comprennent notamment : la collecte massive de renseignements personnels, les finalités de cette collecte pouvant être utilisée à d’autres fins, la qualité de l’information fournie aux personnes concernées, la communication de renseignements personnels à des tiers et la sécurité de ces objets.

L’utilisation de nos objets connectés ne semble donc pas être sans conséquence pour notre vie privée. Rappelons en effet qu’une société américaine a récemment été condamnée pour avoir vendu des téléviseurs espionnant les habitudes de ses clients et en revendant ses données à des agences de publicités. Dans un autre contexte, une société canadienne a tout récemment été condamnée pour avoir collecté les données personnelles générées par les objets intimes en les associant aux adresses courriel des utilisatrices. En somme, nos objets connectés nous surveillent, nous connaissent, peuvent nous mener à des déboires judiciaires, mais aussi nous faciliter, voire nous maintenir, en vie. Riche de promesses, lourd de menaces, voilà comment se résument les objets connectés, avec un objectif imminent de trouver le juste équilibre…

 

 

 

This content has been updated on April 25, 2017 at 17 h 45 min.